György Dragoman

Le roi blanc

|

Écrit d’un trait, le livre György Dragoman se lit d’un trait [1]. Il est composé de dix-huit histoires qui sont suffisamment autonomes pour que l’on puisse s’arrêter à la fin de chacune d’entre elles. Pourtant, on ne le fait pas. Si on continue, c’est parce que l’on sent qu’il s’agit de séquences d’une autre histoire, plus grave, et, surtout, parce que l’on a envie de retrouver le plaisir dû au style si particulier de l’auteur, à ses énormes phrases parfaitement équilibrées et empruntant des schémas narratifs tout aussi faciles à suivre qu’envoûtants.

L’histoire racontée dans ce roman de formation semble étroitement liée à celle de l’auteur, telle qu’elle ressort des indications de la quatrième de couverture et des indices fournis par le texte proprement dit. Né en 1973 à Târgu Mureş (Marosvasarhely), György Dragoman quitte la Roumanie avec sa famille en 1988 pour s’établir à Budapest en 1988. Ce sont donc ces trois ou quatre années précédant son départ, les dernières et les pires du régime de Ceausescu, qui sont évoquées dans le roman à travers les tribulations d’un jeune garçon à la recherche de son père, arrêté par la Securitate puis déporté pour avoir signé une pétition. Cette recherche se métamorphose subrepticement en une quête plus complexe de la figure du père qui occasionne maintes mésaventures dont le héros, plongé dans des situations rocambolesques, sort blessé mais la tête haute. Au détour de ces mésaventures, on découvre le vécu au quotidien en ces temps marqués par toutes sortes de violences et un rituel, lié à la débrouille, déconcertant à plus d’un titre, mais des temps ponctués aussi par des gestes d’affection d’une candeur qui peut apparaître aujourd’hui comme saugrenue. A noter que le lecteur roumain ou familiarisé avec ce pays pourra mieux apprécier certaines descriptions d’un réalisme décapant et réflexions de l’auteur dont la signification échappe en partie tout au moins au public occidental.

Sur un point, il y a télescopage entre la réalité et la fiction. Le camp du travail du canal du Danube où le père du héros a été déporté était fermé depuis longtemps au moment où l’action du roman est située. Il s’agit-il vraisemblablement d’un artifice, puisque ce camp a marqué à jamais la mémoire collective. On peut cependant voir aussi les choses autrement. En effet, les velléités totalitaires manifestées par le régime communiste en Roumanie dans les années 1980 ne sont pas sans rappeler la terreur des années 1950. Lorsque l’histoire se répète, on a envie d’en rire, et, considérée de l’extérieur, l’ère Ceausescu avait des aspects tout aussi grotesques que comiques. Le mérite à mes yeux de ce livre est de ne pas tomber dans l’anecdote en évoquant cette période qui demeure somme toute particulièrement sinistre pour ceux qui l’ont vécue. Un argument de taille plaide dans ce sens : le nom de l’auteur comme celui de la plupart de ses copains et des personnages croisés est hongrois, les lieux décrits évoquent des régions du pays habitées majoritairement par des Hongrois. Pourtant, il n’est jamais question dans le livre des rapports, pas toujours serins, entre les Roumains et les Hongrois ou des mesures vexatoires visant explicitement ou implicitement les Hongrois à l’époque. Tout porte à croire que, pour l’auteur, l’essentiel était ailleurs, ce qui rend son message à la fois plus touchant, plus généreux et plus fort.

Nicolas Trifon