Christophe Dabitch et David Prudhomme

Voyages aux pays des Serbes

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Christophe Dabitch et David Prudhomme viennent de réaliser un joli tour de
force en publiant un des livres les plus justes qui soit sur la Serbie et
les Serbes.

Dans leurs Voyages aux pays des Serbes, les pluriels comptent
beaucoup, qu’il s’agisse des voyages, répétés depuis une dizaine d’années,
de Christophe Dabitch, ou de ces pays multiples qui forment le visage
souvent contradictoire d’une Serbie, balancée entre ses crispations
nationalistes et son désir d’ouverture. Les origines serbes de Christophe
Dabitch lui ont facilité l’ouverture de quelques portes, lui permettant de
ne pas être trop vite catalogué dans le camp des Occidentaux donneurs de
leçons, curieux de l¹exotisme de ces « sauvages » balkaniques. Dans les
Balkans, on aime beaucoup se regarder dans les yeux, et l’auteur parvient à
trouver une juste distance, ce qui est un tour de force fort remarquable.

David Prudhomme tient le carnet à dessins de ces voyages, croquant portraits
et situations, et rappelant que la subjectivité d’un dessin peut être plus
juste que la prétendue « objectivité » d’une photographie. Croisant des
personnages célèbres, comme le grand écrivain de Novi Sad Aleksandar Tisma
se baignant sur les bords du Danube, et beaucoup d’inconnus, des opposants
et des réfugiés, de juristes et des militants des droits de l’homme,
Christophe Dabitch et David Prudhomme dessinent un portrait de la Serbie
contemporaine beaucoup plus juste que beaucoup d’études savantes ou se
prétendant telles.

Du nord au sud, de la Voïvodine au Kosovo, ce livre est
une invitation au voyage, au partage et à la découverte. La Serbie ne manque
ni de calomniateurs ni de thuriféraires, mais bien de gens tentent, comme le
font les auteurs de ce livre, d’essayer de comprendre comment les gens qui
vivent dans le pays nommé Serbie essaient de reconstruire leurs vies et leur
histoire collective. Ce livre tord le cou à toutes les affirmations
idéologiques, qui idéalisent ou caricaturent la Serbie et les Serbes,
franchissant même la Drina pour se rendre à Visegrad, en Bosnie. Cette
ville, rendue célèbre par son pont ottoman et l’immense roman d’Ivo Andric,
a été le théâtre de sanglantes opérations de « nettoyage ethnique » durant
la dernière guerre. Pourtant, ici, comme à travers tous les lieux visités
dans le livre, du passé, l’on ne veut pas parler. Cette amnésie revendiquée,
Christophe Dabitch et David Prudhomme la montrent, sans prétendre la juger. C’est leur immense mérite.