Le Courrier de la Serbie

Lancement du Courrier de la Serbie : « Plus qu’un succès, un triomphe ! »

Jeudi 7 février avait lieu au Centre pour la décontamination culturelle (Centar za Kulturnu Dekontaminaciju), à Belgrade, le lancement du Courrier de la Serbie. Une journée bien remplie, riche en événements culturels, qui a commencé à 11 heures et s’est terminée en musique aux alentours de 23 heures.

Par Loïc Trégoures

Le public, nombreux, avait répondu l’appel. Au programme : en matinée, une conférence sur le thème « Minorités : migrations et réadmission », suivie par une dégustation de vins de la cuvée « Terroirs des Balkans ». Au soir, la projection de Kenedi se marie, le dernier film de Żelimir Żilnik, venu le présenter en personne. Pour terminer, un concert de hip hop rrom, avec quatre groupes de Belgrade et de Niš : Mystic MC, Flying Crew, Crazy Steps et BBC. Des danseurs et musiciens qui ont soufflé l’audience par leur énergie. Tout le monde fut ravi. Et Jean-Arnault Dérens, le rédacteur en chef du Courrier des Balkans, tout sourire, de se frotter les mains : « Plus qu’un succès, ce fut un triomphe ! ». Ci-dessous, le détail heure par heure de la journée. À noter que le thème des minorités sera décliné tout au long de cette année par Le Courrier de la Serbie.

11 heures 15 : On commence avec un peu de retard. Rien de grave. Le public s’installe. Laurent Geslin ouvre la session et décrit le Courrier des Balkans, son mode de fonctionnement et ses objectifs. Ensuite, Gaëlle Pério présente le Courrier de la Serbie, « une petite équipe dont l’âme est Philippe Bertinchamps. La thématique autour de laquelle on travaillera, en particulier cette année, est celle des minorités, car la Serbie est comme un tapis tissé de ses minorités ». Gaëlle a rappelé que le Courrier de la Serbie avait vocation à être un lieu d’échange et de débat au sein de la société civile serbe, qu’il devait participer aux discussions et faire entendre sa voix, y compris dans les médias serbes.

De gauche à droite :
SEM W. Meier, Mme M. Čubrilo,
SEM J-F Terral

11 heures 30 : Madame Milica Čubrilo, ministre de la Diaspora de Serbie, prend la parole et s’adresse au public en français. Elle rappelle que son ministère a contribué à hauteur de 5.000 euros au financement du Courrier de la Serbie. Ce site s’adresse en effet en grande partie aux Serbes de la diaspora qui vivent dans des pays francophones ou bien parlent français. Il s’agirait de 300.000 personnes au total. Madame la ministre a enfin rappelé que, dans les prochains mois, l’objectif de la Serbie était de devenir un membre permanent à part entière de la Francophonie.

L’Ambassadeur de France en Serbie, Son Excellence Jean-François Terral, prend ensuite la parole. Il souligne l’importance de l’existence d’une plateforme d’information en langue française, estimant que « le Courrier des Balkans est un excellent instrument de travail, non seulement pour les diplomates, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la région ». La politique de la France en matière de francophonie et de diversité culturelle a été au cœur de l’intervention de monsieur Terral, qui s’est dit persuadé que dans le futur, la Serbie allait reprendre son rôle de « colonne vertébrale » de la région.

Son homologue l’Ambassadeur de Suisse, Son Excellence Wilhem Meier, a ensuite évoqué les liens étroits unissant la Suisse et le Courrier des Balkans, depuis la fondation de ce dernier. 300.000 personnes issues de l’ex-Yougoslavie résident en Suisse. Le Courrier de la Serbie étant un projet basé sur le dialogue et la communication avec les autres médias de Serbie, il contribuera au débat sur les migrations.

12 heures : La première intervenante de la conférence « Minorités, migrations et réadmission » est Tanja Miščević. Celle-ci est directrice du Bureau de l’intégration européenne en Serbie, et chargée de la coordination des politiques en matière de réadmission. Son intervention est centrée sur les aspects juridiques des Accords de réadmission, qui sont le fruit d’un compromis signé le 16 mai 2007 entre les pays de l’UE et la Serbie, en vue de renvoyer en Serbie les gens qui avaient fui le pays pendant la guerre. Madame Miščević a souligné le devoir de la Serbie et des membres de l’Union européenne de veiller au respect des droits de l’homme au moment de la réadmission comme à celui de l’installation, ce qui n’est pas toujours le cas. Un comité commun de surveillance a d’ailleurs été mis sur pied. Madame Miščević a relevé l’absence de document cadre, de stratégie globale au niveau national et européen dans la prise en charge de ces personnes, livrées à elles-mêmes. Au total, il y aurait environ 1,5 million de citoyens d’ex-Yougoslavie qui séjournent en Europe occidentale, certains légalement, d’autres de façon clandestine.
Pour Tanja Miščević, la question de la bonne réintégration des exilés pose la question plus globale du développement économique et démocratique de la Serbie. Ce n’est que grâce au développement économique d’une Serbie moderne que des perspectives seront données non seulement à ceux qui sont partis, mais aussi à tous les citoyens du pays, les dissuadant ainsi de s’exiler à l’Ouest.

La deuxième intervention fut celle de Nadja Ćuk, directrice par intérim du Conseil de l’Europe à Belgrade. Elle a souligné le manque de moyens, notamment de son organisation, consacrés à la prise en charge des migrants. Madame Ćuk a développé trois points. D’abord, il faut faire un gros travail de prévention allant de pair avec le développement économique afin que les personnes restent dans leur pays et puissent y vivre dignement, et dans le respect du droit. Elle a ensuite dénoncé la situation des réadmis dont les droits ont parfois été bafoués. Et réclamé que, dans le cadre des expulsions, les droits de l’homme soient la priorité aussi bien de la Serbie que des pays occidentaux. Elle a enfin lancé un appel à l’acceptation de la diversité européenne, rappelant que 2007 avait été l’année du dialogue interculturel et que l’objectif de l’Europe devait être de construire un ensemble uni dans ses différences.

12 heures 30 : Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, prend la parole. Il rappelle d’abord que la France ne compte pas de grande communauté issue de l’ex-Yougoslavie. Il s’attache ensuite à dénoncer les conditions de traitement des Rroms dans les pays de l’UE, ainsi que la réapparition de bidonvilles en France, qui avaient disparu depuis 30 ans, ainsi que l’hypocrisie de l’État français qui, ne reconnaissant pas les minorités, parle de « gens du voyage » et ne prend pas en compte les spécificités des Rroms. Jean-Arnault Dérens a par ailleurs rappelé les règles établies par l’Office français pour les Réfugiés et les Apatrides (OFPRA), à savoir que la guerre finie, les Albanais du Kosovo n’ont plus aucune chance d’obtenir l’asile, contrairement aux autres minorités du Kosovo, Rroms, Goranis et Serbes. Il a enfin critiqué le concept d’« immigration choisie », puisque personne ne choisit d’immigrer par plaisir. L’immigration est la seule issue pour beaucoup d’êtres humains, pour vivre mieux, ou tout simplement échapper à la mort.

Le dernier intervenant de la première table ronde fut le dramaturge Jovan Ćirilov, fondateur du festival de culture Rrom Vareso Amer. Ses propos ont été orientés vers la reconnaissance de l’identité rrom qui doit passer par la valorisation de sa culture, entre autres dans le domaine du théâtre. Cette quête d’identité et de reconnaissance pourra ensuite déboucher sur le règlement des problèmes concrets de logement et d’emploi dans les pays où vivent les Rroms.

13 heures : Deuxième table ronde. Slađana Novosel, journaliste à Danas basée à Novi Pazar, décrit la situation spécifique de cette ville du Sandžak musulman d’où sont partis de très nombreux migrants au cours des années 1990. Elle a rappelé que plus de 60.000 Bosniaques ont trouvé refuge dans le Sandžak avant de partir pour l’Europe occidentale, la plupart d’entre eux en Suède. Elle a ensuite souligné la nécessité d’internationaliser le problème qui se pose aujourd’hui au Sandžak avec les personnes réadmises car les moyens manquent cruellement pour les prendre en charge. Le chiffre des personnes rentrées est très imprécis, on ne peut se baser que sur des opérations ponctuelles comme le retour de 1.500 personnes venant du Luxembourg. Slađana Novosel a enfin évoqué les problèmes quotidiens des personnes rentrées, à savoir le gel des aides financières tant que les clarifications administratives ne sont pas effectuées, ou le fait que les enfants ne parlent pas un mot de serbe et ne peuvent suivre une scolarité normale, d’où la création d’écoles spécifiques.

Belgzim Kamberi, journaliste basé à Preševo et responsable du monde albanophone pour le Courrier des Balkans, a pour sa part décrit la situation dans le sud de la Serbie, carrefour entre les mondes slave et albanais et entre la Turquie et la Bulgarie. Il a avancé le chiffre de 30.000 personnes actuellement à l’Ouest originaires du sud de la Serbie, principalement des Albanais et des Rroms. À cela s’ajoute la vague de jeunes partis dans les années 1990 afin d’échapper au service militaire au sein de l’armée yougoslave qui, de facto, était l’armée serbe. Il a dénoncé l’absence totale de stratégie locale et nationale envers les personnes réadmises et rappelé que les différentes diasporas sont encore la principale source de revenus de la région, ce qui ne va pas en faveur d’une diminution des départs.

Le troisième intervenant, Aleksandar Maksimović, psychologue travaillant dans l’école pilote Branko Pešić de Zemun, a apporté un éclairage particulier sur l’adaptation des enfants. 95% des élèves sont des Bosniaques ou des Rroms réadmis en Serbie. Ils parlent peu ou pas du tout serbe. Leur cursus dure 10 ans au lieu de 5 avec des programmes d’apprentissage spécifiques, ainsi qu’une école maternelle pour les petits, élément crucial dans la réussite de ces enfants. Des progrès très encourageants ont été constatés avec cette expérience, des enfants bosniaques et rroms de toute la Serbie sont inscrits dans cette école, et de nombreuses municipalités se sont renseignées sur son mode de fonctionnement.

Enfin, Biljana Tasić nous a présenté l’ONG RPoint (www.rpoint.org.uk) et ses activités. RPoint est une ONG britannique dont le but est de lutter contre les discriminations dont sont victimes les Rroms. Sa stratégie est de donner une visibilité aux jeunes Rroms à travers l’expression artistique, comme la musique, la photo ou le théâtre. RPoint organise des ateliers où les jeunes Rroms peuvent venir jouer leurs propres compositions. La confiance en soi et l’adaptation à la société sont les objectifs de cette ONG. Une fois cela acquis, les questions plus larges de l’emploi et de l’éducation pourront être abordées.

14 heures : La conférence terminée, une dégustation de vins de la cuvée Terroirs des Balkans (xxx), gracieusement offerts par Cyrille Bongiraud, fut proposée au public. Au même moment étaient projetées sur grand écran les photos de Marija Janković (www.marijajankovic.com) et de Dalibor Danilović, « Les enfants de la réadmission », et « Frontières », un très beau diaporama du photographe anglais Michael Bowring (www.michaelbowring.com.

Żelimir Żilnik et J-A Dérens

19 heures : La soirée commence ! Au programme, le dernier film de Želimir Žilnik Kenedi se marie (www.zelimirzilnik.net). Coup de chance, le réalisateur a pu se libérer et est venu en personne présenter son film. Tandis que Želimir Žilnik nous narre avec délice les péripéties de Kenedi, son acteur fétiche, Jean-Arnault Dérens se joint à lui, et traduit pour un public majoritairement francophone. À noter que dans la tribune, une autre public est lui aussi bien présent : les rappeurs rroms qui s’illustreront ensuite, après la projection du film, par leurs performances.

21 heures : Quatre groupes de hip hop rrom font exploser la soirée : Mystic MC, Flying Crew, BBC et Crazy Steps. Du rap et du breakdance pur et dur. Les chanteurs et danseurs ont entre 13 et 23 ans. Ce sont, pour la plupart, des réadmis. Ils sont nés en ex-Yougoslavie et ont grandi en Europe. Ils chantent en serbe, en rrom, en allemand ou en suédois. Le public, lui, fut tout à la fois surpris, conquis... et ravi !

Mystic MC

Flying Crew

Crazy Steps

BBC